Ce cargo à vapeur fut lancé le 20.08.1897 au chantier naval écossais Scottish Shipyard Hall, Russel & Co., Aberdeen (coque no. 303). Terminé et baptisé INGELI, le navire sera délivré à l'armateur John T. Rennie & son, Aberdeen, en octobre 1897 (No. Officiel 108651, indicatif d'appel PVJD). Le vapeur était propulsé par une machine à vapeur triple expansion de 1810 CH, construite par ce même chantier Naval. La vitesse du navire était de 12 noeuds ce qui était remarquable en ce temps là. A l'origine, le bateau était aussi gréé de voiles auxiliaires. Le bateau offrait aussi de la place en cabine pour 36 passagers. Pour la cargaison, il était armé de 3 mâts de charge.
Le nom de INGELI vient du langage zoulou et veux dire froid, neige, mais c'est aussi le nom d'une montagne dans le KwaZulu-Natal.
En 1911, le vapeur sera vendu à Charente Steamship Co., Ltd, Liverpool et le management sera confié à Thos. & Jas. Harrison, Liverpool.
En 1913, il est racheté par la compagnie Hondurienne Vaccaro Brothers Ltda, La Ceiba, re-baptisé TEGUCIGALPA et immatriculé sous pavillon Hondurien. (indicatif d'appel HRBB)
En avril 1920, la Tegucigalpa devint le nouvel armateur alors que l'ancien armateur devint le manager du navire. En même temps, l'allumage de la chaudière passa du charbon au fuel.
En 1924, changement de propriétaire à nouveau : Standard Fruit & Steamship Co., La Ceiba. Le management reste le même.
En 1933, la Standard Navigation Corp., La Ceiba achète le vapeur et donne le management à la Standard Fruit & Steamships Co., New Orleans. En 1936, la capacité de passagers est réduite à 12 et, en même temps on installe 5 mâts de charge supplémentaires.
Le 24.03.1941, revendu à l'armateur grec de Buenos Aires, un cousin et aussi un beau frère de Aristoteles Onassis, qui continua d'opérer le navire avec les mêmes nom et pavillon. En mars 1941, le vapeur arrive à New York pour réparations avant d'être affrété par la North Atlantic & Gulf Steamship Co. Les réparations se retardèrent ce dont les affréteurs furent mécontents. Suite à ces circonstances, l'affrètement fut raccourci et le navire ne fit en fait qu'un seul voyage pour la N.A & G. L'armateur essaya de vendre son navire au plus vite et trouva un acheteur en la personne de la Confédération Helvétique !
Le 03.07.1941, l' OGT, Office de Guerre pour les Transports en cas de Guerre acheta le vapeur et en pris possession à La Nouvelle Orleans. L'agence maritime Honegger & Ascott de Londres pris en charge le management. Immatriculé sous pavillon suisse le 17.07.1941, il est re-baptisé CHASSERAL avec indicatif d'appel HBDF (il est alors re-jaugé : 2928 tonnes brutes, 2702 tonnes nettes et 3865 tonnes de port en lourd). A la fin de 1941, le navire sera révisé et partiellement reconstruit à Lisbonne au chantier naval Companiha Uniao Fabril, et re-jaujé à nouveau : 3128 tonnes brutes, 1874 tonnes nettes et 4064 tonnes de port en lourd. Environ 60% de l'acier du navire fut remplacé. La combustion fut à nouveau changée de fuel au charbon car le charbon, en ce temps là, était plus facile à obtenir que le fuel.
Durant 1941, le CHASSERAL transporta des céréales des USA vers des ports méditerranéens et retournait aux States avec de la cargaison d'export suisse. En 1942/43, il fut utilisé comme navette entre Lisbonne et Gène, Toulon et Marseille. Les navires grecs affrétés par le gouvernement suisse n'étant plus autorisés à entrer en Méditerranée et devaient décharger leur cargaison d'outremer dans le port de Lisbonne.
Le 21.08.1943, le CHASSERAL était dans le port de Lisbonne, chargeant une cargaison de copra (fibre de noix de coco) du cargo grec MARPESSA (aussi en affrètement par la confédération) quand un feu se déclara dans les cales 1 et 2. Le feu put être maitrisé par l'équipage et les pompiers portugais. De peur que le navire ne chavire, du à la quantité d'eau giclées dans les cales pour éteindre le feu, il fut décidé d'échouer le bateau hors du port, à Barreiro. Cette mesure se révélant infondée, le navire fut renfloué à nouveau.
En 1944, le navire fut expédié à nouveau outremer et fit 2 voyages en Amérique centrale, chargeant surtout du café mais aussi d'autres produits. Un voyage, il fut envoyé à Philadelphie pour une pleine cargaison de céréales.
Pendant un voyage de Marseille à Lisbonne, le 22.04.1944, le CHASSERAL fut attaqué par des chasseurs britanniques de combat au large de Sète et, après des réparations sommaires, il put continuer son voyage vers Lisbonne où des réparations permanentes furent effectuées.
Pendant toute la période critique de la guerre, le commandant Marcel Henrotin, né en Sardaigne en 1906 et vivant en Suisse, resta aux commandes du CHASSERAL.
Après la guerre, le Chasseral continua de naviguer pour l'OGT. Durant 1945, il transporta du cargo de Lisbonne vers des port français et italiens pour être ensuite être re-dirigés vers la Suisse. C'était nécessaire car d'énormes quantités de cargaisons s'étaient accumulées à Lisbonne. L'année suivante fut passée avec des voyages vers le Brésil, l'Afrique Equatoriale et les USA.
Fin octobre 1946, le CHASSERAL fut le premier navire suisse à escaler dans un port anglais, au grand amusement des autorités locales qui découvraient cette mystérieuse marine suisse. Le navire arriva à Londres pour charger du ciment pour le Brésil. Le capitaine Henrotin était toujours aux commandes. L'équipage se composait surtout d'italiens mais aussi de portuguais, de belges mais seulement de deux suisses. Le messboy était africain. Une délégation de l'ambassade de Suisse visita le navire et apprécièrent le bon repas préparé par le cuisinier italien.
Le 11.03 1947, le gouvernement fédéral vendit le navire, pour 800'000.- Fr à la compagnie Nautilus AG de Lugano et Glaris. Le nom, le pavillon et l'indicatif d'appel ne changèrent pas, seulement les tonnage : 3129 tonnes brutes, 2702 nettes et 4064 de port en lourd.
La nouvelle compagnie utilisa le navire surtout sur l'Afrique équatoriale mais, de 1948 jusqu'au début 1949, le vapeur entrepris un voyage vers le sous-continent, divers ports en Inde et au Pakistan.
Bien que l'Office Suisse de la Navigation Maritime ne permettait pas d'embarquer plus que 12 passagers, règle que la Nautilus ne suivit pas et cela donna lieu à des discussions et des ennuis.
En plus, une compagnie de Zürich vint se plaindre que les cabines du navires n'étaient pas à la hauteur et pas selon les standards d'un navire sous pavillon suisse.
La Nautilus AG vendit le vieux vapeur de 54 ans le 08.07.1951 à l'armateur génois Franco Maresca Fu Mariano. Une petite cérémonie eu lieu à Gènes quand le pavillon suisse fut amené une dernière fois sur ce navire, le 10.10.1951 à 11:30h, en la présence d'un officier consulaire suisse. De Nautilus, Christian Bach, Chef du bureau de Nautilus à Gènes, les deux inspecteurs Lisi et Spinella et le commandant Donato. Du côté nouvel armateur, le propriétaire Franco Maresca, son inspecteur Moretti et le nouveau commandant, le capitaine Lavarello. Le navire fut rebaptisé MAR CORRUSCO et fut immatriculé sous pavillon italien.
En 1953 le navire fut vendu à la démolition à la compagnie A.R.D.E.M. à Savone.
Informations supplémentaires et anecdotes
Raid aérien au large de la côte française le 22.04.1944
Sous le commandement du capitaine Henrotin, le CHASSERAL appareilla de Marseille un samedi matin, le 22.04.1944, à destination de Lisbonne. La cargaison de seulement 361 tonnes mais haute en valeur car consistant de pièces de mécaniques de précision, de montres, produits pharmaceutiques, le tout d'une valeur d'une dizaine de million de francs. A cette époque, le sud de la France était encore occupé par la marine et les troupes allemandes. Mais atteignables par les forces alliées, surtout par les chasseurs de la RAF basés en Italie, Corse et Afrique du nord.
Pendant que le Chasseral naviguait cap à l'ouest au large de l'embouchure du Rhone, 8 ou 10 avions chasseurs anglais attaquèrent le navire sur son tribord peu après 17:00h à 15 miles nautiques au large du port de Sète à la position 43° 22.5' N 004° 05' E. L profondeur de la mer était de 53 m, le temps était au beau et la visibilité bonne. Les signes de neutralité furent ignorés par les aviateurs : pavillons suisse, le mot « SWITZERLAND » peint sur les flancs du navire, croix suisse sur la cheminée et sur le pont.
Les avions attaquèrent pas vagues de trois, à basse altitude, 80 à 100 m, avec leur canons et bombes. Il y eu deux attaques avant qu'ils disparaissent au large. Ils furent identifiés comme étant des British Bristol Beau Fighters, des chasseurs/bombardiers bien connus. Ces appareils faisaient partie du RAF 39 Squadron qui opérait depuis Alghero en Sardaigne. Ce même Squadron était aussi impliqué dans les attaques des MALOJA et CHRISTINA. Cette unité opère encore aujourd'hui, mais avec des drones d'attaque.
Le marin, graisseur, suisse Maurice Jaccard de St Croix /VD fut grièvement blessé et décéda lors de son transfert à terre par embarcation de sauvetage. Cinq marins portugais furent aussi blessés mais
moins gravement.
Un Bristol Beaufighter, utilisé par la RAF pendant la 2nde guerre mondiale
Source: The Aviation History Online Museum, www.aviation-history.com
Les britanniques apparemment suspectèrent que les montres de la cargaison étaient en fait des détonateurs de bombes ou du genre et ce fut apparemment la raison du raid. Mais, en fait, cela aurait été ridicule car les « montres » pu être acheminées directement en Allemagne par la route ou le rail ! Mais aussi, les anglais/alliés étaient parfaitement informés de tous les transport sur les navires suisses, les navires étaient aussi toujours contrôlés en passant Gibraltar !
Les anglais interrogèrent l'équipage pour leur enquête et finalement reconnurent leur responsabilité.
Le navire fut sévèrement touché sur les flancs de la coque à tribord. Les superstructures furent aussi très touchées, passerelle et cabines des officiers. L' embarcation de sauvetage tribord fut totalement détruite. Les cales demeurèrent quasiment sèches car l'impact des bombes touchèrent la coque au dessus de la ligne de flottaison. Par contre, une bombe entra dans la salle des machines, explosant près du condensateur et la salle des machines se remplit d'eau jusqu'en haut des cylindres du moteur. Le souffle de l'explosion poussa brutalement le graisseur Maurice Jaccard contre le moteur, le blessant grièvement à la tête et aux jambes.
Après que le moteur fut stoppé et le début d'incendie maitrisé, le commandant ordonna de mouiller l'ancre tribord. Ensuite, tout l'équipage quitta le navire dans l'embarcation de sauvetage bâbord pour ne pas être exposé à une éventuelle nouvelle attaque. Après deux heures d'attente, la vedette portuaire FSE-04 de la marine allemande embarqua l'équipage et le ramena sur le Chasseral. Le navire montrait une gîte importante maintenant et il y avait trois mètres d'eau dans la salle des machines. Un peu d'eau fut alors aussi notée dans la cale 3. Le commandant jugea que le navire était définitivement perdu et, à 21:30h, tout le monde embarqua à nouveau sur la vedette allemande pour être amené à Sète où ils arrivèrent é 2 heures du matin cette nuit là.
Sans en référer au capitaine Henrotin, le commandement de la 6ème flottille de sécurité de la marine allemande essaya de sauver le CHASSERAL. Plusieurs navires prirent part à l'opération de sauvetage, entre autres le navire d'escorte M-6031. Ils réussirent de ramener, après 4.5 heures de remorquage, le navire à Sète où il fut échoué en sécurité sur fond de sable au NE du port de Sète.
Pendant cette opération de sauvetage, un tout nouvel hydravion de sauvetage du type Dornier DO24 (d'une valeur de 1.3 million de francs de l'époque) fut perdu dans les parages de l'attaque sur le CHASSERAL. Il coula au fond de la mer dans de mystérieuses circonstances. Curieusement, personne du CHASSERAL n'avait aperçu cet avion. Toute l'opération de sauvetage dura quelques 11 heures, sous le commandement du lieutenant commander Hermann Polenz.
Lieutenant Commander H. Polenz (à droite) avec un amiral de la flotte allemande
Hermann Polenz (2ème de la gauche) parlant à ses officiers
Le marin graisseur suisse Maurice Jaccard fut enterré le 25.04.1944 au cimetière de Sète, en présence du commandant et de tout l'équipage. Ce marin fut le premier et le seul marin suisse à décéder suite à une action militaire durant la seconde guerre mondiale (voir rapport ci-dessous)
La cargaison du navire fut transférée sur le navire ZURICH pour destination Lisbonne. Après quelques réparations temporaires à Sète, le CHASSERAL fut capable d'appareiller de Sète, le 07.06.1944 et continua son voyage vers Lisbonne où il arriva le 12.06.1944. Après les réparations permanentes au chantier naval Companhia Uniao Fabril, terminées le 31.07.1944, le vapeur put reprendre son service régulier.
A la même époque, des avions anglais bombardèrent 2 navires de la croix rouge, l'un était le EMBLA sous pavillon suédois qui coula le 19.04.1944 et l'autre était le CHRISTINA sous pavillon espagnol qui fut seulement endommagé, le 06.05.1944.
Bien sûr, ce raid sur le CHASSERAL provoqua des suites légales, qui durèrent plusieurs années. La confédération résumèrent nos revendications monétaires pour les dommages au navire et à sa cargaison une somme de 2.7 millions de Fr à l'intention du gouvernement britannique. Après de dures négociations, les anglais acceptèrent de payer 50'000.- £ , l'équivalent de 867'000.- de nos francs.
La veuve de Maurice Jaccard reçu elle un chèque de 35'000.- Fr.
La marine allemande, elle, demanda une compensation de 25% de la valeur du navire et sa cargaison. Pratique normale dans la marine marchande en cas de sauvetage. Les allemands demandèrent aussi une compensation de 1.3 million de Fr pour la perte de l'hydravion ... que personne n'avait vu sur la scène de l'attaque et du sauvetage ! Les suisses demandèrent une explication : qu'aurait pu bien faire un hydravion dans ce cas là ? L'équipage était en sécurité sur la vedette allemande, la mer était calme et le navire en remorque vers le port de Sète. Nous n'avons retrouvé aucune archive mentionnant une réponse à cette question... On peut penser que beaucoup de documents furent perdus dans ce temps pour le moins chaotiques de fin de guerre.)
Un hydravion de sauvetage allemand, Dornier DO24, utilisé pendant la seconde guerre mais aussi ultérieurement
Source: © Airbus Corporate Heritage (archive de la Compagnie Dornier), Friedrichshafen
Les marins allemands ayant participé aux opérations de sauvetage demandèrent s'ils pouvaient recevoir une montre suisse en souvenir de leur actions. Les autorités suisses classifièrent cette demande comme sans problème, politiquement, et autorisèrent l' « assurance de guerre » de donner suite à cette demande. Nous n'avons pas pu retrouver de document attestant que les marins reçurent vraiment leur montres...
Décès de marins sur des navires suisses pendant la seconde guerre Mondiale
Durant la seconde guerre mondiale, quelques marins de navires sous pavillon suisse ou étrangers affrétés
par la Suisse périrent par des attaques, aussi bien des alliés que des allemands.
Par contre, le seul suisse à avoir perdu la vie à cause de la guerre fut Maurice Jaccard sur le CHASSERAL.
D'autres suisses moururent mais suite à des accidents non liés à la guerre
La plus importante perte humaine quand le navire MOUNT LYCABETTUS disparut sans laisser de trace avec 30 hommes à bord en mars 1942. Ce navire grec, affrété par le gouvernement suisse, était en route de Baltimore vers l'Europe et, après quelques jours n'envoya plus de messages de position.
Seulement après la guerre on trouva trace de l'accident dans le livre de bord du sous-marin U-373, commandé par le capitaine Karl Loeser. Ce sous-marin coula le navire de deux torpilles dans l'après-midi du 17.03.1942.
Le 07.09.1943, des avions chasseurs anglais attaquèrent et envoyèrent par le fond le navire MALOJA au large des côtes corses. Trois marins portugais perdirent la vie et le 1er officier hollandais, ainsi que le cuisinier suisse furent grièvement blessés
De nouveau, une année plus tard, le vapeur suisse GENEROSO fut, pendant une manoeuvre portuaire, touché par une mine dérivante. La forte explosion souffla littéralement le commandant Anatol Gouretzki et l'officier radio suisse Christian Schaaf dans les airs ! Le commandant perdit la vie tandis que le radio fut projeté par dessus bord, ses habits en flammes, et tomba à la mer d'où le pu être repêché, blessé et brulé.
Observations à propos des attaques sur des navires neutres
Dans le texte anglais de notre histoire, nous citons quelques observations tirées du livre « The armed Rovers : Beauforts and Beau fighters over the Mediterranean » de Roy Conyers nesbit (Casemate Publishers. 2014). Nous n'aimerions pas traduire ces quelques lignes. Néanmoins, nous devons relever le fait que les pilotes avaient l'ordre d'attaquer immédiatement tout navire navigant dans des parages suspects.
SwissShips HPS, FG, MB, Janvier 2020
Sources: