Dur destin pour les machinistes et peu de " Hofbräuhaus "
Heinz Läuffer
Ce rapport s’adresse aux anciens marins habitués aux moteurs Doxford et à ceux qui s’occupaient des treuils à vapeur. Pendant le passage vers l’Afrique, on remarqua que les réparations effectuées à Alger n’étaient pas couronnées de succès. On trouvait toujours de l’eau de refroidissement au fond du moteur. C’était urgent de refaire le travail, de démonter à nouveau la chemise du cylindre incriminé du bloc moteur. Parce qu’on ne pouvait pas sans danger effectuer cette opération sur un mouillage, il fut décidé de faire le travail dans notre prochain port, Lagos. Selon notre plan de chargement, il devait nous rester une fenêtre de juste 2 jours et demi à disposition. Une fois à quai à Apapa (Lagos) nous nous préparèrent pour ce travail délicat. Il est à noter que ce genre d’incident arrive rarement deux fois pendant le même voyage. L’extraction d’un piston sur ce type de moteur obligeait l’extraction de deux pistons et comprenait aussi le démontage d’un système complexe de tiges jusqu’au vilebrequin. Ce genre de travail dépassait largement le contexte d’une simple extraction de piston ordinaire. L’extraction complète d’un cylindre n’est nécessaire qu’en cas d’urgence pendant un long voyage. Normalement, cela se fait dans un chantier naval avec l’aide d’ouvriers qualifiés et habitués à ce genre de travail. Ici, nous étions livrés à nous même, Le GENERAL DUFOUR avait été construit pour opérer dans des zones tempérées et non tropicales. Comme tous les navires de cette époque, il avait des manches à air pour les cales. Mais pour les cabines et, surtout, pour la salle des machines : rien pour aérer convenablement. Pour la salle de contrôle des machines, on avait bricolé une espèce de tuyau d’aération fait d’une bâche enroulée mais cela marchait seulement quand le navire avançait… On faisait comme on pouvait car il n’y avait pas de ventilation mécanique sur ce bateau. Tous les engins auxiliaires, pompes, compresseurs, etc., ainsi que la grande chaudière à triple flammes contribuaient à entretenir une chaleur incroyable. Notre équipage machine n’étaient vraiment pas à envier. Le moteur principal était positionné à l’arrière du navire, donc très à l’étroit, et de ce fait tout était extrêmement serré autour de lui et il était presque impossible de déposer des pièces démontées lors de réparation vu l’étroitesse des passages entre le moteur et la coque, oblique à cet endroit. Pas suffisamment de place pour de grands outils, nécessaires pour les gros travaux. La manutention de grosses pièces comme les longs cylindres de fonte était un grand défi. Le moteur Doxford à pistons opposés La construction et la particularité d’un moteur diésel vertical à pistons opposés doit être expliqué comme suit. Le moteur Richardson Westgard Doxford à pistons opposés (4 cylindres / 8 pistons), selon les navires de 3300 à 4400 CH, donnait au navire une vitesse de 12.5 nœuds. Ce type de moteur anglais est certainement génial du point de vue d’économie de place. Ce moteur était relativement simple, fiable et facile à entretenir. Ce genre de propulsion était pour moi le développement logique de la machine à vapeur. Quand le piston inférieur appuyait directement sur le vilebrequin, la force du piston supérieur agissait indirectement sur le joug du cylindre et les doubles barres vers le bas sur le vilebrequin. Par contre, la maintenance de cette mécanique ouverte dans la partie supérieure, avec des pièces en mouvement, comme les jougs porteurs des cylindres et les barres qui transfèrent la force, n’était pas facile et même dangereuse. Cette maintenance contenait ainsi aussi le graissage des pièces en mouvement. Les graisseurs de veille devaient faire ce travail. Une faiblesse de cette construction était aussi le positionnement des tuyaux de refroidissement se bougeant avec les pièces métalliques. Ces tuyaux menaçaient à tout moment d’éclater. Cela m’est arrivé méchamment plusieurs fois pendant mes quarts sur le MS BADEN. Quelle: Sothern's Marine Diesel Oil Engines, 10th. Edition Grosse révision à Lagos Cette épuisante révision urgente du moteur principal est depuis longtemps de l’histoire. Le rapport suivant devrait par contre éveiller des souvenirs nostalgiques chez les anciens machinistes sur Doxford. A ma connaissance, seuls 3 navires suisses étaient propulsés par cette machine exotique : MS Général Dufour, MS Baden et MS Anunciada Beaucoup de stades des travaux devraient être connus des machinistes de moteur diésel. Les conditions de travail par contre se sont beaucoup améliorés avec les années. La climatisation, même dans la salle de machine, est maintenant standard. Avant ce commencer les travaux, le second ingénieur a orienté et briefé son équipe machine : Lagos serait un temps de travail très dur et intensif car il ne fallait pas perdre trop de temps de voyage. Nous comprîmes aussi tout de suite qu’une virée à terre serait hors de question. Le peu de temps libre ne serait pas de trop pour dormir un peu. ! Le chef mécanicien n’avait pas le choix car il aurait été dangereux de continuer le voyage avec l’état dans lequel se trouvait le moteur principal. Toute l’équipe machine était sur le pied de guerre. De petits groupes furent formés. Les uns étaient dans l’enveloppe du moteur à démonter les bielles et sortir les coques de roulement, les autres à la station des cylindres pour démonter les conduites de carburant et eau de refroidissement. Pour ma part, je préparais les différents outils pour les travaux à venir. Ensuite je dû aussi entrer dans le moteur pour aider les autres. Le travail dans ces espaces exigus et recouverts d’huile sale était très pénible. Plus de deux hommes ne pouvaient pas s’y tenir même si le travail aurait été facilité en étant trois. Pour desserrer les boulons des paliers des bielles nous utilisions des touches de frappe. Ces derniers étaient si lourds qu’ils devaient être retenus par un palan à chaine. C’était très difficile. Le 2ème mécanicien pris une masse et, quart de tour après quart de tour, on arrivait à desserrer ces gros écrous des boulons pour libérer les paliers. Cet exercice, c’est connu, devait se renouveler jusqu’à que les demi-rondeurs de la surface des paliers portent. Seulement ainsi pouvait une surchauffe être évitée. Un engin unique était notre système à vapeur pour « tourner » le moteur, c’est à dire de faire faire un tour complet au vilebrequin donc au moteur. Cela prenait une bonne minute pour un tour complet … cela nous permettait une petite pause bienvenue. Tous ces travaux sont bien sûr connus des mécanos de marine mais là, sous les tropiques et sans aération, c’était une torture. Et en plus, la chaudière en action constante pour livrer de la vapeur. Les pauses sur le pont, à l’air, devenaient toujours plus fréquentes et plus longues ! Entretemps, le problème d’infiltration d’eau fut localisé et le cylindre concerné démonté et rangé pour une réparation future. L’extraction et la réinsertion de cette longue et lourde pièce, avec les moyens du bord, fut exécutée sans grand problème mais représentait quand même une performance hors normes. Maintenant, nous les deux nouveaux « indiens de fond de cale » furent envoyés pour le dernier mais horrible et très sale boulot : nettoyer les collecteurs d’échappement ! Tout ces travaux, dans ces endroits exigus, montrèrent la dureté de cet engagement humain, fait de sueur et aux limites de la force humaine poussée à l’excès Mais La motivation était présente car nous avion aussi un but : retourner en Europe le plus vite possible !! Après deux longues et dures journées, seulement interrompues par de courtes pauses-repas, on y arriva. Le moteur principal pu, mais encore bien amarré à quai, démarrer pour un test. Ce dernier fut concluant. Maintenant, il était temps de penser à une petite virée à terre. Très vite, tout le monde se lava et se prépara. Les odeurs pénétrantes du gasoil, de l’huile, de la sueur et de la graisse devaient être enlevées de la peau et des cheveux. Virée à terre méritée Tout l’équipage suisse, en bloc, se dirigea très vite vers un endroit bien connu des navigateurs en Afrique, le Dressler Bar d’Apapa. Ce grand « Biergarten » (jardin à bière à ciel ouvert, était un endroit de compréhension des peuples, surtout entre blancs et noirs Sous le ciel étoilé africain, il y avait de l’animation musicale et aussi, bienvenues, des bières allemandes comme la Beck’s, bien connue des marins. Il y avait là aussi beaucoup de marins allemands de la compagnie Woermann Reederei qui entretien un service de cargos entre l’Europe du nord et l’Afrique équatoriale. C’était sûrement la raison pour laquelle, ici, loin de la patrie, les marins allemands demandaient au juke-box toujours les mêmes rengaines teutonnes. Mais tout à coup, une chanson sortit de la machine que je connaissais : une chanson basée sur un poème de Gottfried Keller « Im afrikanischen Felsental marschiert ein Bataillon» qui décrit un légionnaire loin de son foyer. Une chanson en allemand, devant un public multiculturel dans un Biergarten africain, n’était sûrement pas une chose commune. L’interprète allemand donna des émotions nostalgiques a beaucoup de spectateurs, dont nous les suisses. C’était un mélange de fatalisme, fierté, et l’impression d’avoir tout donné dans notre dernier travail, mais aussi une touche de mal du pays. Nous écoutions cette chanson mélancolique et plus d’un s’essuya une larme au coin de l’œil. Encore aujourd’hui, quand j’entends cette chanson à la radio, ce qui est rare, je rejoins pour un moment ces moments exceptionnels en Afrique. Au voyage de retour d’Afrique, nous pûmes constater que nous avions fait notre travail car le moteur tourna rond et plus aucune fuite d’eau dans le moteur ne fut constatée. Entretemps, les temps ont changé dans la marine de commerce internationale. Aujourd’hui c’est la guerre concurrentielle du fret, la pression sur le coût qui obligent les armateurs de non seulement diminuer les équipages mais aussi d’embaucher des marins des pays en voie de développement, des marins sous-qualifiés et mal payés, des équipages sûrement pas capables de mener à bien une révision de moteur comme nous l’avions faite à Lagos. Il est clair aussi, que des marins suisses, s’il y en avait encore, seraient capables de faire ce travail mais sûrement pas disposés à le faire dans ces conditions. Un latiniste dirait « o tempora o mores » Le côté moins romantique de la marine, ou, mon premier navire
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