Ce vraquier a été construit par le chantier naval Jos. Boel & Zonen, à Temse (en français Jos. Boel & Fils, à Tamise) C’était un chantier naval situé sur l'Escaut à environ 25 kilomètres en amont d'Anvers, dans la province de Flandre-Orientale *). La mise à l'eau a eu lieu le 11 janvier 1958 et le REGINA a été livré le 24 mai 1958 à son propriétaire, la Regina Schiffahrts AG de Bâle, probablement avec le financement d’Ernst Göhner. Mis en service sous pavillon suisse (indicatif d'appel : HBDR) et exploité par la Schweizerische Reederei à Bâle, le REGINA était le tout premier vraquier sous pavillon suisse ; mais selon la terminologie actuelle, il s'agissait d'un petit navire de seulement 14'468 tonnes de port en lourd. Regina est un mot latin qui signifie reine ou souveraine ; peut-être que ceux qui l'ont nommé ainsi voulaient dire "la souveraine des mers" (Regina est aussi un prénom féminin).

Le navire ne naviguait que dans l'Atlantique, principalement de la côte Est des États-Unis et du Golfe, ainsi que du Canada vers l'Europe du Nord, ainsi qu’en Méditerranée occidentale. Port Churchill, dans la baie d'Hudson, faisait souvent partie du programme. La baie d'Hudson, au nord du Canada, est normalement recouverte de glace et ne peut être abordée qu'en été, pendant environ trois mois. D’autres voyages, passant par Rio de Janeiro et quelques fois par l'Afrique, Dakar, Pointe Noire, Le Cap et même une fois par Lorenzo Marques et Beira (côte sud-est de l'Afrique), donnaient un peu de changement à cette navigation sur l'Atlantique Nord. Le charbon et les céréales d'Amérique du Nord vers l'Europe, les engrais d'Europe vers l'Afrique du Sud et les céréales au retour vers l'Europe étaient la majorité des chargements en vrac transportés. De temps en temps, le navire transportait aussi des marchandises en sac, probablement du ciment (le REGINA n'était qu'un petit navire d'à peine 15'000 tonnes et les installations portuaires de chargement pour les marchandises en vrac étaient encore rares dans les ports africains).

L'équipage de 36 hommes était composé en grande partie de Suisses ; mais les voyages décrits ci-dessus ne correspondaient pas, pour la plupart de ces marins, à l'idéal qu'ils se faisaient de la navigation. Il y avait cependant des exceptions : le capitaine Domingo Bücheler aimait ces nombreux voyages passant en Grande-Bretagne, car il pouvait à chaque fois rendre visite à sa jeune épouse ou celle-ci pouvait monter à bord. Les escales au Royaume-Uni étaient généralement très longues.

Récemment, une connaissance qui a navigué à la machine nous a raconté que la vie à bord était totalement empoisonnée par les incessantes "guéguerres" entre pont et machine » et que c'est pour cette raison qu'il avait quitté le navire après un seul voyage. D'autres disaient qu’au contraire, la navigation sur le REGINA avait été agréable. Il reste évident que deux ou trois personnes peuvent bien sûr rendre la vie à bord impossible, tout le monde espérant qu’ils débarqueront bientôt. La vie à bord peut vite changer, tout comme la météo.

Coupe transversale d'un transporteur de vrac. L'illustration ne montre que l'emplacement et la forme d'un tank à ballast latéral (image tirée d'un manuel, pas des plans du REGINA)

Le maître d'équipage (bosco) et ses hommes ont demandé à l'armateur et probablement aussi au syndicat de la FCTA, un petit bonus pour ce travail dans les tanks (ce qui est normalement rétribué par de nombreuses compagnies maritimes), mais tous deux ont fait la sourde oreille. Dans un port anglais, les marins se sont rendus au pub le plus proche pour faire passer la colère accumulée. Malheureusement, la situation s'est envenimée et un incident s'est produit avec le capitaine. Dommage que Monsieur Rebsamen, le patron du syndicat, n'ait pas mentionné les motifs dans son article.

Article de Karl Rebsamen (responsable du syndicat) paru dans le journal de la FCTA n° 37, 13.09.1963

Plusieurs capitaines suisses ont été au commandement du REGINA, comme Hermann Schildknecht, Domingo Bücheler, Felix Schmidt. Mais aussi l’allemand Kurt Ruppert (né en 1902), lequel avait encore navigué sur des voiliers autour du Cap Horn ; il semble avoir été l'un des premiers, voire le premier capitaine du REGINA.

Lors d'une traversée des États-Unis vers l'Europe en décembre 1959, sous le commandement du capitaine Kurt Ruppert, de fortes tempêtes hivernales ont balayé l'Atlantique Nord. Peu avant Noël, le REGINA a subi une avarie de l'appareil de gouverne et a dérivé sans gouvernail pendant plusieurs jours dans une mer agitée. Un remorqueur de sauvetage a dû être organisé et une lettre de crédit bancaire a dû être fournie pour garantir la somme convenue pour le sauvetage. Le jour de Noël, le remorqueur de haute mer BARENTSZ ZEE a pris le vraquier en remorque et un voyage de plusieurs jours a commencé pour aller le faire réparer à Halifax. Selon les souvenirs personnels d'un jeune marin néerlandais de 17 ans, André, qui naviguait sur le remorqueur BARENTSZ ZEE (puissance motrice de 1650 CV), voici ce qui s'est globalement passé :

Après plus de dix mois de mission, le BARENTSZ ZEE était sur le point de rentrer sur Rotterdam, mais cela n'a malheureusement pas été le cas. Nous avions quitté les Bermudes lorsque l'appel de détresse du REGINA a été intercepté et que nous avons dû changer de cap pour aller à la rencontre du navire endommagé. Comme d'habitude à cette époque de l'année, le temps dans l'Atlantique Nord était mauvais et se dégradait de plus en plus, avec des vents allant jusqu'à force 9. Le jour de Noël, nous avons atteint le REGINA et avons pu passer notre câble de remorquage. Nous mettons maintenant le cap sur Halifax, au Canada. Nous avons eu du mal à maintenir le cap, le REGINA était souvent en travers de la route. De plus, notre vieux craignait que le câble de remorquage ne se casse et ne pouvait donc pas faire tourner la machine à pleine puissance. Au bout de quelques jours, le remorqueur THAMES est venu à notre aide, il était en route pour l'Amérique, sans remorquage. Les trois bateaux roulaient et tanguaient violemment dans une mer agitée ; je vivais cela pour la première fois de ma vie et parfois la peur me saisissait. Le soir de la Saint-Sylvestre, vers minuit, un avion des garde-côtes nous a survolés et nous a souhaité une bonne et heureuse année avec sa lampe Scott. Le jour de l'an 1960, nous sommes enfin entrés dans Halifax. Nous nous sommes amarrés à côté du REGINA et nous avons été invités à prendre un verre à bord.

Remorqueur BARENTSZ-ZEE (PKYI) 1'650 CV / Origine photo : André (amkoss)

Le 16 février 1968, la Regina Schiffahrts AG a fusionné avec l'Alpina Reederei AG de Bâle (à cette même date, les propriétaires du RIGI, l'Aquila Reederei AG Basel, ont également fusionné avec l'Alpina Reederei).

En 1971, la SRAG a vendu le navire à la société chypriote-grecque Freatis Shipping Co. Ltd. Famagouste, Chypre et a remis le REGINA aux nouveaux propriétaires le 09-03-1971 à Hambourg. Selon la Lloyd's List, le prix de la vente s'élevait à environ 800'000 livres sterling. Le navire a été rebaptisé CHRISTOPHER S. et immatriculé sous pavillon de Chypre avec Famagouste pour port d'enregistrement (numéro officiel: 321377, indicatif d'appel : 5BRR).

Lors des troubles et de la division de Chypre en 1974, Famagouste a été attribuée à la partie turque de l’île, aussi, les propriétaires grecs ont donc dû enregistrer le CHRISTOPHER S. à Limassol.

En 1978, le navire est vendu à la Natamar Shipping Corp. (même gestion), au Pirée. Sans changement de nom, mais enregistré sous pavillon grec au Pirée (n° officiel : 7106, indicatif d'appel : SXKF). Nouvelle jauge :  TJB : 9047, NRT : 5238, DWT : 14'351.

Arrivé à Split, Yougoslavie, le 07-10-1982, le navire est démantelé près de Brodospas à Sveti Kajo.

*) Ce chantier naval a été fondé en 1829 et a fait faillite en octobre 1992. Il était en quelque sorte le "chantier naval maison" de la Schweizerischen Reederei et construisait de nombreux bateaux de navigation intérieure pour les "Rouges". Les trois grands remorqueurs diesel, l'URI, le SCHWYZ et l'UNTERWALDEN, ainsi que de nombreux bateaux de marchandises et bateaux-citernes ont été construits à Tamise : Par exemple les "Blumentanker" (des chalands et bateaux-citernes rhénans), les grands "Strom-Klasse" comme l'AMAZONAS, le ZAMBESI, le GANGES etc. La BRAG, la Citerna, la Sobacit et la Lloyd AG ont également fait construire des bateaux à Tamise, sur l’Escaut.

SwissShips, janvier 2024 / Traduction PAR

Sources :

• Publications du Lloyd's Register Londres
• Marine News World Ship Society (WSS)
• Revue du personnel de la Leventina
• Capitaine Hermann Schildknecht
• Journal de la FCTA
• André (e-mail-aamkoss), Pays-Bas
• Strom + See Bâle
• Marine News World Ship Society (WSS)

This ship was built by the shipyard Jos. Boel & Fils, Tamise (in Flemish: Jos. Boel & Zonen, Temse), a shipyard on the Scheldt about 25 kilometres upstream from Antwerp *). The REGINA was launched on 11.01.1958 and delivered to her owners Regina Schiffahrts AG, Basel, on 24.05.1958, presumably financed by Ernst Göhner. She entered service under the Swiss flag (official no: 57, call sign: HBDR) and was operated by the Schweizerische Reederei in Basel. The REGINA was the very first bulk carrier to fly the Swiss flag, albeit a small ship by today's standards, with a carrying capacity of only 14,468 tonnes DWT. Regina is Latin and means queen or ruler, perhaps the name givers meant "the ruler of the seas" (Regina is also a female first name).

The ship generally sailed in the Atlantic, mainly from the US East Coast and Gulf, as well as from Canada to northern Europe and the western Mediterranean. Port Churchill in the Hudson Bay was often on the schedule. Hudson Bay in northern Canada is normally covered in ice and can only be reached in summer, during a three month period. Occasional voyages to Rio de Janeiro and a few times to Africa, (Dakar, Pointe Noire, Cape Town). A single voyage to Lorenzo Marques and Beira (south-east coast of Africa), provided a little diversion from the harsh North Atlantic voyages. Coal and grain from North America to Europe, fertiliser from Europe to South Africa and grain back to Europe were the main bulk products transported. From time to time she also transported bagged goods, presumably cement (the REGINA was only a small ship of just under 15,000 tonnes and handling facilities for bulk cargoes were still virtually non-existent in African ports).

Most of the crew of 36 men were Swiss, and the voyages described above did not correspond to most people's ideas of seafaring. But there were exceptions, Captain Domingo Bücheler loved the many trips to Great Britain, where he could visit his young wife or she could come on board. The port times in the UK were usually very long.

Recently, an acquaintance who had sailed on the ship told us that life on board was totally poisoned by the constant "bickering" (petty/trivial arguments) between deck and engine departments, which is why he left after just one trip. Others said the opposite, that it had been pleasant sailing on the REGINA. Well, two or three men can of course make all the difference and everyone hopes that they will soon be gone again. Life on board can change, just like the weather.

In 1963, the deck crew had to clean the topside ballast tanks of rust and mud, a sweaty, dirty job. In addition, walking on the sloping, sometimes slippery tank floor was quite tedious, especially in rough seas. The collected rust and dirt had to be dragged in buckets to the manhole at the rear end of the tank and heaved onto the deck.

Cross section of a bulk carrier. The sketch shows only the position and the form of a topside-ballast tank (from a text book, not showing the actual cross section of the REGINA)

The bosun and his crew asked the company and probably also the VHTL (trade union) for a small tank cleaning bonus (paid by many shipping companies), but they fell on deaf ears. In an English harbour, with a pub just around the corner, they went to wash down their pent-up anger. Unfortunately, the situation escalated and there was a confrontation with the captain. It's a shame that Mr. Rebsamen, as the union boss, didn't mention the reason for his story in the trade union newspaper.

Article by Karl Rebsamen (union boss) from the VHTL newspaper No. 37, 13 September 1963

Various Swiss captains commanded the REGINA, such as Hermann Schildknecht, Domingo Bücheler and Felix Schmidt. Kurt Ruppert from Germany (born in 1902), who sailed around Cape Hoorn in sailing ships, seems to have been one of the first, if not the first master of the REGINA.

On a crossing from the USA to Europe in December 1959 under the command of Captain Kurt Ruppert, strong winter storms swept across the North Atlantic. Shortly before Christmas, the REGINA suffered damage to its steering gear and drifted rudderless in the choppy seas for days. A salvage tug had to be organised and a bank letter of credit issued to secure the salvage fees. On Christmas Day, the seagoing tug BARENTSZ ZEE took the freighter on the hook and a journey of several days to Halifax for repairs began. According to the personal recollections of the 17-year-old Dutch seaman, André, who was working on the tug BARENTSZ ZEE (engine power 1650 BHP), the following is roughly what happened:

After more than ten months of service, the BARENTSZ ZEE was on its way home to Rotterdam, but unfortunately that didn't happen. We had left Bermuda when the REGINA's distress call was picked up and we had to change course to meet the distressed vessel. As usual at this time of year, the weather in the North Atlantic was bad and deteriorating, with winds up to force 9. We reached the REGINA on Christmas Day and were able to attach our towing hawser. We now set course for Halifax in Canada. We found it difficult to stay on course, as the REGINA was mostly lying athwartships astern of us. The old man was also worried that the towline might break and was therefore unable to run the engine at full power. After a few days, the tug THAMES came to our aid; she was travelling to America without a tow. The three ships rolled and pitched violently in the choppy sea; it was the first time I had experienced this and sometimes I was seized with fear. On New Year's Eve around midnight, a Coast Guard plane flew over us and signalled a happy new year with its Aldis lamp. On New Year's Day 1960, we finally arrived in Halifax. We moored next to the REGINA and were invited on board for a drink.

On 16.02.1968, Regina Schiffahrts AG merged with Alpina Reederei AG, Basel (on the same date, the owners of the RIGI, Aquila Reederei AG Basel, also merged with Alpina Reederei).

In 1971 Swiss Shipping Company sold the ship to the Cypriot-Greek company Freatis Shipping Co. Ltd. Famagusta, Cyprus and handed over the REGINA to the new owners on 09.03.1971 in Hamburg. According to Lloyd's List, the sale price was approximately GBP 800,000. The ship was renamed CHRISTOPHER S. and registered under the flag of Cyprus with home port Famagusta (official no: 321377, call sign: 5BRR).

During the unrest and partition of Cyprus in 1974, Famagusta was assigned to the Turkish part, so the Greek owners now had to register the CHRISTOPHER S. in Limassol.

Sold to Natamar Shipping Corp (same management), Piraeus, in 1978. No name change, but registered under Greek flag in Piraeus (official no: 7106, call sign: SXKF). New tonnage measurement GRT: 9047, NRT: 5238, DWT: 14'351.

Arrived in Split, Yugoslavia on 07.10.1982 and scrapped at Brodospas in Sveti Kajo (district of Split).

*) This shipyard was founded in 1829 and went bankrupt in October 1992. It was something like the "home shipyard" of the Swiss shipping company and built numerous inland waterway vessels for the "Reds" (because of the red colour on the vessels of the Swiss Shipping Company, they were called the “Reds” by the people on the river). The three large diesel tugs, the URI, the SCHWYZ and the UNTERWALDEN, as well as numerous cargo vessels and tankers were built in Tamise, e.g. the “Blumentankers”, the large "Strom class" (“River class”) cargo vessels, such as the AMAZONAS, ZAMBESI, GANGES etc. BRAG, Citerna, Sobacit and Lloyd AG, Basle also had ships built in Tamise.

Sources:

• Lloyd’s Register Publikationen
• Marine News World Ship Society (WSS)