La commande pour la construction de ce navire a été passée à la société Kieler Howaldtswerke AG, Kiel, RFA (République fédérale d'Allemagne) par l'armateur norvégien Leif Høegh & Co. De Oslo. Cependant, déjà pendant les travaux de construction, la Deutsche Dampfschiffahrts-Gesellschaft "Hansa" de Brême a acheté le contrat et a fait achever la construction du cargo.
Celui-ci fut lancé le 30-12-1953 sous le nom de HOHENFELS ; il a été mis en service le 14-02-1954 pour la "Hansa", Brême, sous le pavillon de la RFA (port d'attache Brême, indicatif d'appel DEDW). Le HOHENFELS a été le premier navire de la compagnie maritime "Hansa" à être équipé d'un système de climatisation pour tous les locaux de l'équipage (la zone de navigation de la Hansa était le golfe Persique, le Pakistan et l'Inde).
En 1966, le navire a été acheté par la Compagnie de Navigation Transocéanique Suisse SA de Genève, une société contrôlée par la Keller Shipping AG de Bâle. Le 14-06-1966, le cargo a été repris à Gênes par Keller Shipping, rebaptisé AROLLA et enregistré sous pavillon suisse (n° officiel 076, indicatif d'appel HBFC).
Arolla est un petit village de montagne dans la partie francophone du canton du Valais, au fin fond du Val d'Hérens et se situe à environ 2000 m d'altitude
L'AROLLA assurait alors le service régulier de la Nautilus-Line entre l'Italie et l'Afrique de l'Ouest, jusqu'à Lobito en Angola.
Le 25-03-1978, la compagnie de navigation s’est défaite du navire au port de La Spezia et l'a vendu à l'entreprise de démolition Cantieri Navali del Golfo, qui a commencé les travaux de démolition dès le 06-04-1978.
Informations complémentaires et histoires
L'AROLLA était un navire où le travail ne manquait pas, comme l'a écrit Max Walser dans son Journal : "sur ce navire, on peut travailler autant qu'on veut, quand on arrive à sa fin d’une tâche, tout est à reprendre depuis le début " (cela s'appliquait en fait plus ou moins à la plupart des unités de la Keller, mais aussi aux navires d'autres compagnies maritimes).
De nombreux Suisses ont navigué sur ce navire, en particulier à la machine ; il est évident que d’avoir du personnel au bénéfice d’un apprentissage professionnel était payant pour l'armateur : De ce fait, grâce à ces différentes compétences artisanales, de nombreux travaux de révision et de réparation ont pu être effectués par l'équipage lui-même.
Malheureusement, nous n'avons pas de listes d'équipage de l'AROLLA dans nos archives, mais bien des marins que nous connaissons ont navigué sur ce navire dans les années 60. Le chef mécanicien était Ernst Käch et Hans-Ruedi Fuchs († 2020) était « Primo di Macchina » (2e mécanicien). Rico Brönnimann 1er électricien (ou Blitz en allemand), Heinz Dürrenmatt 2e Blitz et Sämi Christen 1er électricien ( † 2014) ont navigué en tant qu'électriciens. Sur les bateaux équipés de treuils de chargement électriques, deux électriciens naviguaient toujours ensemble à la Keller Shipping, car en Afrique, le chargement et le déchargement se faisaient normalement 24 heures sur 24 et un électricien devait toujours rester à bord pour surveiller les treuils. Parmi les assistants de machine il y avait Heinz Kleinpeter († 2009) et Max Walser, plus tard 4e officier de machine. Gerhard Diener était "frigoriste" et donc responsable des machines de refroidissement. Sur le pont naviguaient Robert Sauter († 2021), Charly Bucher, quartier-maître (bosco) et Kurt Russenberger, Chippy (charpentier), Ruedi Jasny, matelot AB, le capitaine était un Italien, Renato Corsini. D'autres noms peuvent se retrouver sous la rubrique "diverses photos".
Problèmes de machine
L'AROLLA était équipée d'un moteur diesel à crosses, un 6 cylindres à double effet, de marque MAN et type D6Z 72/120, construit par les ateliers Howaldtswerke à Kiel. Double effet signifie que la partie inférieure du piston était également utilisée comme chambre de combustion. Un cylindre avait donc 3 injecteurs, un grand en haut dans la culasse du cylindre et deux plus petits en bas, soit un injecteur de chaque côté.
Coupe transversale du moteur principal MAN
(Archives historiques MAN Augsbourg)
Le problème de cette machine était l'étanchéité de la tige de piston contre la pression de travail élevée dans la chambre de combustion inférieure. Les nombreux injecteurs de cette machine donnaient également du travail. Au début, le moteur souffrait d'une mauvaise combustion due au manque d'air. L'auteur de ce texte a vu l'AROLLA partir de Gênes, le port et le quartier de la Sampierdarena disparaissant dans un épais nuage de fumée noire. Mais des étincelles jaillissaient aussi de la cheminée et des lances à incendie avaient été disposées sur le pont par mesure de précaution pour une éventuelle intervention rapide. Après avoir réglé correctement les vannes de rechargement rotatives dans les deux conduites d'échappement et après que les électriciens eurent révisé les ventilateurs de la salle des machines (courant continu) et qu’ils les eurent remis à pleine puissance, la situation s'améliora considérablement. Mais à partir de 1967, on ne naviguait plus qu'à 100 tr/min maximum, car le bloc moteur était fissuré ! On a essayé à plusieurs reprises de réparer la fissure par soudure, mais cela n'a pas fonctionné ; la plupart du temps la fente se rouvrait au bout d'une semaine. On roulait donc à un régime réduit, ce qui correspondait à environ une puissance de 5’000 CV.
Max Walser a noté dans son carnet que le 27-06-1969, le moteur principal avait atteint un total de dix millions de tours ! En supposant une moyenne de 105 tr/min, cela donne 1’587 heures de fonctionnement. De plus, en supposant qu'un cargo de marchandises générales de l'époque se trouvait environ 40 à 60% du temps en mer, il en résulte que le compteur avait déjà été remis à zéro un grand nombre de fois (une année compte 8’760 heures). Par conséquent, si le navire était pour moitié en mer et pour moitié au port, le moteur principal et l'hélice ont tourné environ 414 millions de fois au cours des 15 années.
Lors de la prise en charge du navire, les deux grues arrière étaient hors service car considérées comme "non réparables" ; mais, avec beaucoup de patience, les électriciens les ont remises en service. Tout avait déjà commencé par le fait que les pièces d'usure comme les courroies trapézoïdales n'étaient plus disponibles à bord. Le stock de pièces de rechange était un problème général. Il y avait bien de telles pièces de rechange, mais, lorsqu'on les déballait du papier huilé et qu'on les débarrassait de la couche protectrice de graisse, on découvrait généralement une pièce usagée ou défectueuse !
L'AROLLA disposait de chambres froides pour la cargaison et aussi d'un système de climatisation pour tous les logements de l'équipage. Le réfrigérant utilisé était l'ammoniac (NH3), un gaz toxique à l'odeur âcre, mais qui, contrairement au fréon, n'a pas d'influence sur l'effet de serre (mais cela n'avait pas d'importance à l'époque). Lors de la recherche de fuites, le « frigoriste » devait se protéger avec un masque. De nos jours, on parle à nouveau de l'ammoniac, mais comme combustible pour les bateaux.
Un projet de la société japonaise K-Line pour la construction d'un
transporteur de voitures (carrier) fonctionnant à l'ammoniac
Un peu de gaîté marine
La Fête du Képi
Le soir du 20-07-1968, le bateau a mouillé à Freetown, probablement pour prendre en charge les Crowboys le lendemain. Ce soir-là, quelques Suisses ont bu une première bière au mess de l’équipage, mais cette paisible bière de fin de journée s'est vite transformée en une véritable fête du képi (fête des casquettes).
A noter tout d’abord qu’à Marseille, dans une ruelle latérale de la fameuse Canebière, il y avait à l'époque de nombreux bars, dont l'un était fréquenté par les soldats de la Légion Étrangère qui avaient leur caserne à proximité du Vieux-Port. Les marins de la Keller connaissaient eux aussi très bien cette ruelle et s'y rendaient souvent. A un moment donné, les légionnaires et les marins se sont retrouvés dans le bar en question et, lors d'une beuverie commune, quelques képis blancs de la Légion ont changé de mains…
Mais revenons à Freetown. Plus tard dans la soirée, l’équipage a continué la fête. Vers 23h15, le képi du chippy (charpentier) Kurt Russenberger est tombé à l'eau et l'assistant de machine Heinz Kleinpeter a sauté derrière ce couvre-chef pour le sauver. Or, dans la rade de Freetown, le courant est très fort et peut rapidement entrainer à la dérive un nageur, même expérimenté, et l’éloigner du bateau. Heureusement, quelqu'un a rapidement déclenché l'alarme de sauvetage et le canot de sauvetage à moteur a été mis à l'eau sans trop de retard. Après une demi-heure, le canot était de retour, ramenant sains et saufs sur l'AROLLA les deux naufragés, soit Heinz et le Képi. Une bêtise qui aurait pu facilement tourner au vinaigre ; retrouver un nageur isolé dans la mer au milieu de la nuit noire n'est pas chose aisée. Bien sûr, cette action nocturne a donné lieu à une énorme scène de théâtre le lendemain. Le capitaine voulait tout de suite donner le sac à Heinz et ce n'est que grâce à l'intercession du chef mécanicien, un homme sociable et consciencieux, que l’assistant de machine a pu rester enrôlé à bord.
Sources :
- Historisches Archiv MAN Augsburg
- www.ddghansa-shipsphotos.de
- Ernst Käch (chef mécanicien)
- Fuchs Hans-Ruedi (chef mécanicien † 2020)
- Sämi Christen († 2014)
- Max Walser
- Heinz Dürrenmatt
- Rico Brönnimann
SwissShips HPS, MW, MB, Janvier 2022 / Traduction PAR / 2022