PROJETS DE NAVIGATION FLUVIALE EN SUISSE
Pendant la première moitié du vingtième siècle, plusieurs projets de navigation fluviale furent élaborés pour le transport de marchandises sur les rivières et les lacs, et entre ces derniers. Nous proposons ici un exposé compréhensible pour le profane, donc sans approfondir les aspects techniques, commerciaux, voire politiques de ces projets. Déjà au moyen-âge, on parlait beaucoup de rendre navigables les fleuves et rivières européens et suisses. Domaine que les hollandais, déjà, maîtrisaient plus que tout le monde. En 1609, ces mêmes hollandais proposèrent de faire sauter les chutes du Rhin, les rapides de Laufenburg et de Coblence, pour niveler les flots et les rendre navigables jusqu'en Hollande. En 1638 commença la construction du Canal d'Entreroches dans la plaine d'Orbe, canton de Vaud. (voir Canal Transhelvétique).
L’ancien Canal d'Entreroches à travers le Haut du Mormont vers Eclépens Ainsi, au 17ème siècle, Kaspar Stockalper, entrepreneur, négociant de sel et politicien de Brigue, voulut faire construire un canal du Lac Léman vers le Valais pour, surtout, acheminer de la marchandise au pied du Col du Simplon. Néanmoins, le projet n'alla pas plus loin que quelques kilomètres dans le bas-Valais avec un canal de quelques mètres de large seulement. Ce projet fut vite oublié. On pourrait bien rire aujourd'hui de ces projets mais il faut penser que 120 ans en arrière, il n'y avait point de routes carrossables, le chemin de fer en était à ses tout débuts et était lent et inefficace. Ces faits donnaient à réfléchir à des modes de transport alternatifs, dont le transport fluvial, intermédiaire mais aussi à l'international, voire jusqu'à la mer, au nord comme au sud ! En l'année 1908, un nouvel article fut entré dans la constitution fédérale : que les modifications et constructions fluviales devaient tenir compte de la production hydroélectrique et de la navigabilité commerciale. Dans la décision du conseil fédéral du 4 avril 1923, les voies fluviales navigables ou encore à rendre navigables furent divisées en deux catégories : La première catégorie comprenait les bateaux de 1000 à 2000 tonnes :
Pour les trajets suivants, la décision de les incorporer à la 1ère ou 2ème catégorie n'était pas encore
Les discussions se firent entendre dans le années 60 déjà pour trouver des solutions aux problèmes de circulation et transport en général et les instances fédérales se questionnaient sur les possibilités de soulager le trafic routier et ferroviaire pour aider les trains, routes et aussi le port de Bâle par des extensions des voies fluviales. Des projets de rendre navigables le Haut-Rhin et l'Aare furent étudiés. Mais les instances politiques et économiques n'étaient pas vraiment sûres du rendement économique de tels projets. Dans les années 50 et 60, un autre front se mettait en place : les écologistes, ce qui fit capoter tout projet. Aujourd'hui, tous ces plans et rêves moisissent dans les bibliothèques et archives fédérales. 1. Les canaux alpins Déjà en 1713 on parlait d'un « Canal Maloja-Inn » qui devait connecter Vienne par le Danube et le lac de Côme en Lombardie par la rivière Inn. Peu avant cela, la Lombardie fut annexée au royaume d'Autriche. Le projet le plus audacieux nous vient de l'ingénieur italien Pietro Caminada (1862-1923) dont le père était originaire de la commune de Vrin dans les Grisons. Son plan, qu'il présenta en 1907 au public, était un canal (Canale Grande Transalpino) de Gênes ...au lac de Constance par Milan, lac de Côme,
Diverses vues des tunnels pentus sur le Col de Splügen
Etudes de profiles de tunnels Les chalands standardisés sont halés au fond de canal
La Via Mala aurait aussi du être surmontée Le canal-test de Caminada à Rome Mme Anita Siegfried nous donne, dans son livre „Steigende Pegel“ (niveau montant)une image vraie, au-delà de la fiction, de ce projet. Elle décrit la vie de Pietro Caminada mais aussi un voyage fictif à travers les alpes sur un canal, dans l'obscurité. Ce voyage de science-fiction décrit le cauchemar claustrophobe vécu par les bateliers à bord de leur chaland. Pour se remettre, il n'y avait que le « café-fertig » (café + schnapps) dans le bistro du port à Thusis (Viamala, Grisons). Comme alternative, notre ingénieur Caminada, qui débordait d'idées, avait aussi un canal alternatif qui passerait de la Mer Adriatique à la Mer du Nord, par le Pô, le Lac Majeur, le Lac des 4 Cantons, la Reuss et finalement le Rhin ! 2. Expansion du Haut-Rhin Au 20ème siècle, on ne voulut plus faire sauter les chutes du Rhin, comme l'avaient proposé les hollandais.. Au lieu de ça, on pensa à contourner les chutes. Le projet de 1942 voyait un contournement de la presqu'île de Rheinau et des chutes par deux courts tunnels. Suite à la pression des nouveaux écologistes au début des années 60, deux nouveaux projets prirent forme :
L'idée d'origine du contournement des Chutes du Rhin Tous ces projets étaient évidemment à condition d'être rentables : il faudrait transporter en moyenne 2 millions de tonnes de cargaison. Selon les données du port de Bâle, les chiffres affichaient à cette époque (1937) un total de 2.75 million de tonnes, entre autres : - Charbon 1'437'000 mt 52,4 % L'année 1937 fut une très bonne année pour le transport fluvial. Intéressant de savoir qu'à l'époque, seuls 6% de la marchandise transportées l'étaient par la route. Le reste l'était par le rail et le fluvial. Aujourd'hui, les chiffres montrent une tendance contraire. Dans ces projets, des ports étaient évidemment aussi prévus : Turgi / Brugg, Eglisau et Schaffhouse et des ports sur le lac de Constance. La totalité des coûts de construction pour ce projet « Bâle – Lac de Constance », selon l'Office de l'Economie Fluviale, Bulletin no. 35, Berne 1942, aurait été d'environ 146 millions de Fr suisses, avec un partage entre pays de 40% pour la Suisse et 60% entre l'Allemagne et l'Autriche. Les puissants CFF (Chemins de Fer Fédéraux) attaquèrent ce projet, le considérant comme une concurrence déloyale. Mais, Bâle aussi ne voyait pas cela d'un bon œil car la marchandise passeraient Bâle mais serait déchargée plus loin, dans des ports du Lac de Constance. Néanmoins, Bâle serait resté le port principal pour les grands chalands qui auraient déchargé ici la marchandise continuant vers sa destination par le rail. Par ailleurs, les CFF étaient très impliqués dans le transport par bac sur le Lac de Constance d'où l'idée de faire participer le CFF à cette aventure. Et aussi, les CFF auraient profité indirectement avec leur capacité de stockage dans leurs entrepôts de Romanshorn. Une exemption de droits pour la navigation sur le Haut-Rhin, était aussi prévue, comme c'était déjà le cas depuis longtemps sur le Rhin en aval de Bâle. Pendant la 1ère moitié du 20ème siècle, beaucoup d'industries choisirent l'endroit de leur installation au bord des voies d'eau, navigables si possible. Ce choix était logique. La fabrique de produits chimiques Uetikon ne s'installa pas par hasard au bord du Lac de Zürich (avant la construction de la ligne ferroviaire, des bac transbordeurs amenaient les wagons de Wollishofen à Uetikon). La brasserie Wädenswil livrait sa bière aux dépôts à bière de Zürich avec une barge tirée par le remorqueur GAMBRINUS, et cela jusqu'aux années 60. Avec une Limmat et une Linth navigables, cette brasserie aurait pu rayonner plus largement, même jusqu'à Rotterdam et, qui sait, serait peut-être devenue aussi importante que Heineken !
Le GAMBRINUS avec sa remorque de bière sur une peinture murale contre l'ancien dépôt dans les montagnes zurichoises En 1951, des divergences se firent entendre sur la hauteur de l'accumulation de l'eau à la construction planifiée du barrage de Rheinau. En conséquence, l'Association de Rheinau fut créée à Schaffhouse. 3. La connexion Rhin et Lac de Constance vers le Danube Toutes ces idées sont déjà très anciennes. Déjà Charlemagne fit débuter des travaux pour un canal du Main au Danube mais le projet ne vit jamais le bout à cause de difficultés techniques. Plus tard, le roi Louis de Bavière construisit, entre 1836 et 1846, un canal pour des chalands jusqu'à 120 tonnes mais, suite à l'arrivée du train dans la région, ce canal devint caduc. Aujourd'hui par contre, le canal du Main au Danube est une réalité et est très utilisée. Le canal, acceptant de grands chalands, fut inauguré en 1992. En 1921, le professeur Göller présenta ses plans pour un canal de Friedrichshafen à Ulm pour chalands de 1200 tonnes. A travers de nombreuses écluses, les bateaux « montaient » d'environ 150 m et redescendaient de nouveau de 100 m vers le Danube. Entre Ravensburg et Münchenreute, une écluse dite de type « escalier » aurait été érigée. Mais, le Danube aurait du être élargi et approfondi, donc canalisé, entre Ulm et Regensburg pour la taille des bateaux prévus. 4. Projet de canal Transhélvètique Déjà au Moyen-Age, des négociants hollandais rêvaient d'un passage fluvial entre la Mer du Nord et la Méditerranée, d'Amsterdam à Marseille par le Rhin et le Rhône. Les raisons pour cela étaient multiples : les conditions politiques complexes avec une péninsule ibérique catholique, des mers souvent tempétueuses dans la Manche et en Atlantique et, aussi, la présence dangereuse de pirates opérant depuis les côtes nord-africaines. Le hollandais, de souche française (huguenot?), Elie Gouret, et des actionnaires hollandais, français, bernois et vaudois, entreprirent la construction du Canal d'Entreroches en 1638. Le tronçon Yverdon – Cossonay fut achevé 10 ans plus tard et utilisé jusqu'en 1829. Suite à des problèmes financiers et techniques, le projet ne fut pas continué et tomba dans l'oubli. Aujourd'hui, on peut encore voir et admirer les restes de ce canal, enfouis dans la végétation. On peut, au départ de la gare d'Eclépens, faire une belle promenade (env. 45 min). Voir la galerie de photos en annexe. En 1919, la Société du Canal du Rhône au Rhin fut créée en Suisse Romande. Déjà en 1912 un premier projet de l'ingénieur W. Martin de Lausanne se dessina. Le projet prévoyait des péniches de 600 tonnes halées par des sortes de locomotives sur le côté du canal. Par une décision du 16 décembre 1947, la confédération pris part à l'élaboration d'une seconde étude Le canal de la Thielle entre les lacs de Neuchâtel et Bienne, construit pendant une des corrections des eaux du Jura. Le chaland photographié est l'AXALP, un ancien chaland rhénan de la société BRAG, qui transporte du remblai vers une fabrique de ciment Pour le projet de Canal Transhélvètique, les mêmes critères que le projet du Haut-Rhin jusqu'à Brugg (embouchure de la Reuss et de la Limmat) furent appliqués : chaland automoteur de 70 m de long et 900 tonnes de charge ou péniche remorquée de 80 m de long et 1200 tonnes de charge, tirée par un remorqueur de 1000 chevaux. Déjà en 1954, la conférence des ministres des transports européens se mirent d'accord pour un type de chaland standard (Type Johann Welker) de 1250 tonnes et 80 m x 9.50 m et 2.50 de tirant-d'eau. Depuis l'embouchure de l'Aare dans le Rhin (alt. 317m) à Klingnau, les bateaux auraient atteint le lac de Bienne, et ensuite celui de Neuchâtel, par 13 écluses et une dénivellation de 112 m et, du Lac de Neuchâtel vers le canal d'Entreroches, au Mont Mormont, encore 3 écluses et dénivellation de 14 m pour atteindre une altitude de 443 m. Suit un tunnel de 700 m pour atteindre la pente descendant vers le Léman qui aurait été atteint par la Venoge canalisée, 8 écluses supplémentaires et 72 m de dénivellation pour atteindre le Léman (alt. 371 m). Le trajet entre le Lac de Neuchâtel et le Léman était connu sous l'appellation Canal de l'Entreroches. Le comptage des kilomètres aurait débuté à 0 au Léman et serait arrivé au km 218 à l'embouchure de l'Aare à Klingnau. Suite aux deux corrections des eaux du Jura, la 1ère en 1868-1891 et la 2ème 1962-1973, la dénivellation entre le Lac de Neuchâtel et Soleure aurait été de peu d'importance. Le temps de passage entre l'embouchure de l'Aare et le Lac Léman aurait été d'environ 26 à 30 heures à une vitesse entre 7 et 8 km/h.
Le Canal d'Entreroches aurait été à lui seul un challenge colossal car il n'y aurait pas eu assez d'eau au somment de la plaine d'Orbe pour subvenir aux besoins des écluses. Selon les plans, il aurait fallu trois puissantes pompes pour amener l'eau du Lac de Neuchâtel au somment de la plaine. Au sud, descendant vers le Léman, l'eau prise de la Venoge à Cossonay aurait par contre suffi si on ne l'utilisait pas hydroélectriquement. La petite rivière Orbe, qui prend sa source dans le Jura à Orbe et descend vers le Lac de Neuchâtel, n'aurait été que de très peu d'utilité car déjà très sollicitée par des servitudes hydroélectriques. Par ailleurs, la ville d'Orbe y déversant ses eaux usées, l'eau aurait amené trop de sédiments et vase dans le canal. La planification avait quand même prévu de surélever le lit de l'Orbe de deux mètres et d'amener une partie de l'eau par un aqueduc en aval de l'écluse d'Orbe passant par dessus le canal et la laisser ensuite rejoindre le Lac de Neuchâtel par un parcourt séparé. On pensa aussi à la sécurité des bateaux traversant les lacs de Neuchâtel et Bienne et un projet fut de rehausser le franc-bord des péniches avec des tôles amovibles pour le passage des lacs, probablement pensa t-on à des passages par mauvais temps et grandes vagues. Malheureusement, il n'y a apparemment aucune archive des ces plans et on ne sait pas comment auraient été ces tôles ni comment elles auraient été mises en place. Un point crucial aurait aussi été le passage des gorges de Brugg car la largeur entre les falaises à la hauteur de la " Tour Noire " n'est que de 18 m. Divers projets furent avancés : quelques 500 m sur les rails ou alors un tunnel contournant la ville.
Les gorges de Brugg, à gauche en aval de la ville, à droite en amont. La profondeur sous le pont est de 14 m. Les coûts de construction estimés par une étude en 1949 se montaient à 343 millions de francs, les ports et installations de chargement et déchargement non compris. Ensuite, il y aurait encore les frais d'exploitation à se partager entre les nations utilisant le canal si ce dernier était ouvert à l'international. A relever, les prix à l'heure des ouvriers engagés dans ces projets : un maçon 2.20-2.60 CHF et pour un manutentionnaire 1.94-2.05 CHF. L'étude économique (aujourd'hui Business-plan) était sérieuse mais aléatoire et se basait sur plusieurs critères : on estimait un volume de cargaison de 2.2 millions de tonnes passant cette longue route Nord-Sud, marchandise composée de l'export, import, transit et volume intérieur. Ces marchandises auraient été : charbon, hydrocarbures, minerais, métal travaillé, céréales, sucre, produits chimiques, engrais, bois, cellulose et papier. Le principal étant le charbon. Le transit à lui seul n'aurait pas été très important car il manquait les connexions avec le Danube, Rhin et Lac de Constance. Les deux raffineries mises en service dans le années 60, à Collombey, à l'embouchure du Rhône et à Cressier, au bord du Canal de la Thielle, furent, et sont toujours, approvisionnées par pipe-line depuis la Méditerranée, de Fos-sur Mar pour Cressier et de Gênes pour Collombey. Même pour ces deux installations, un canal aurait eu peu de chance de produire une économie de coût. Ici aussi, les milieux écologiques sonnèrent le glas de tout projet de construction de canal d'importance. Au front, l'ASA(<Groupe de travail pour la protection de l'Aare>) en 1964 et AQUA VIVA en 1970. L'Aqua Viva existe encore et fusionna en 2012 avec l'Union de Rheinau. En 2006, le canton de Vaud radia par décret la « liberté des eaux » et ainsi mis un point final à toute spéculation. Aujourd'hui, dans cette optique de canal nord-sud, il n'y a plus que le Canal du Rhône au Rhin français, canal de peu d'importance car limité à des péniches de 38.50m x 5.05m et 250 tonnes de charge. Ce canal part du canal parallèle du Rhin à Niffer/Mulhouse, va vers la Saône par Belfort et rejoint le Rhône plus au sud. Commercialement, peu attractif, il réjouit néanmoins les plaisanciers. 5. Navigabilité du Rhône jusqu'à Genève. Bien sûr que tous ces projets transhélvètiques n'auraient eu aucun sens sans rendre le tronçon du Rhône de Genève à Lyon navigable. La dénivellation de ce tronçon est de 213 m sur une distance de 270 km. Rendre cette étape navigable n'aurait en fait pas posé de grands problèmes. Le point crucial aurait été la traversée de la ville de Genève, mais aussi le passage à travers les gorges de Bellegarde. A Genève, on avait planifié un port à l'embouchure de l'Arve dans le Rhône et la jonction avec le Léman se serait faite par un tunnel sous la ville sous la rive droite de Rhône. Un total de 8 écluses aurait été nécessaire. Avant la 2ème guerre mondiale, la construction du barrage hydroélectrique de Genissiat fut commencée mais mise en pause pendant la guerre et fut terminée après cette dernière. A l'achèvement en 1948, c'était un des plus grands barrages hydroélectriques d'Europe. L'énorme mur de rétention s'élevait à 70 m et l'eau s'amassait sur une distance de 23 km. Pour la navigation un gros problème. Bien que prévu à la base, un canal de contournement ne fut finalement pas construit. 6. Liaison vers Zürich La liaison avec le Lac de Zürich aurait été une entreprise exigeante mais, par contre, deux variantes auraient été ouvertes au débat : la Limmat ou canaliser la Glatt. Déjà au début du 20ème siècle, l'intention était de rendre tout le parcours de la Limmat navigable mais, 20 ans plus tard, la priorité fut donnée à la forte extension urbaine des villes de Baden et Wettingen. Maintenant, l'option de la Reuss contournant ces 2 villes est de nouveau ouverte. Le canal de jonction entre la Reuss et la Limmat, en dessus de Wettingen A Birmensdorf, un ascenseur à chalands aurait monté les bateaux de 35 m, ensuite un canal avec un tunnel de 3 km sous les villages de Dättwil et de Heitersberg aurait amené les bateaux à la Limmat. La 2ème possibilité est sur les plans d'un appel d'offres urbain de la ville de Zürich au temps de la 1ère guerre mondiale. Elle comportait de canaliser la Glatt depuis le Rhin jusqu'à Opfikon et là, entre Zürich-Oerlikon et Kloten, construire de grandes installations portuaires et beaucoup de surfaces industrielles. Par un tunnel sous le Züriberg, la navigation aurait rejoint le lac de Zürich. Dans un article en deux parties du journal „Die Tat“ du 13 et 20 mai 1938, l'ingénieur Kaspar Jenny esquissa l'idée d'un passage navigable à travers la ville de Zürich. Il voulait construire un barrage à la hauteur du pont de l'Hôtel de Ville, avec une écluse pour compenser la nouvelle dénivellation. En aval, on aurait approfondi le lit de la rivière de quelques mètres pour compenser la profondeur perdue à cause du barrage, mais gardé un certain tirant d'air sous les ponts.
La navigation fluviale à travers la ville de Zürich. La grue hors-service de Rostock, mise là comme œuvre d'art en 2008 aurait peut-être eu son utilité à l'époque. Dans les temps d'avant-guerre, une crise économique terrassait l'Europe et Kasper Jenny pensait, avec son projet, surtout à stimuler la création d'emplois. Le conseil fédéral radia la Limmat, la Linth et la Glatt du catalogue du « Laisser Libre » d'alors. 7. Connexion navigable vers le Lac de Walen et vers Sargans La navigation devait aussi se prolonger jusqu'au Lac de Walen. Déjà autrefois on utilisait des chevaux pour haler des barges à céréales sur la Linth entre Zürich et le Lac de Walen. La correction du niveau de la Linth amena un abaissement de niveau du Lac de Walen et, de là, un amoindrissement du débit vers le Lac de Zürich. Malheureusement, on ne pensa pas à la navigation et le courant trop fort dans la Linth canalisée. Donc de gros travaux auraient du être entrepris. On voulu même canaliser la Seez jusqu'à Sargans. Mais comme la Seez a très peu d'eau, on aurait dû prendre de l'eau du Rhin pour obtenir un débit suffisant pour les écluses prévues (différence de niveaux de 70 m sur 16 km). Techniquement, cela aurait été possible de prolonger ensuite le canal jusqu'à Coire mais les protagonistes du projet préférèrent la prolongation des chemins de fer rhétiques jusqu'au port de Sargans. A l'époque, la mine de Gonzen produisait encore du minerai de fer et les péniches auraient pu y charger directement. 8. Connexion avec le Lac des Quatre Cantons par le Lac de Zoug Déjà au début du 20ème siècle, l'idée de relier l'Aare fluviale, par la Reuss, et le Lac de Zoug au Lac des Quatre Cantons. Le détour par le Lac de Zoug s'imposait, à l'époque, à cause de la forte urbanisation de la ville de Lucerne qui n'aurait pas permis de passer par là. D'abord, les bateaux auraient navigué sur la Reuss. Ensuite, de l'embouchure de la Loze jusqu'au Lac de Zoug par un canal séparé abritant aussi un barrage hydroélectrique. La dénivellation de 90 m aurait demandé 7 écluses parallèles à des installations hydroélectriques. A Immensee, les chalands auraient passé une double écluse les amenant au niveau du Lac des Quatre Cantons qui est 20 m plus haut et ensuite emprunté un court canal avec au Lac de Quatre Cantons à Küssnacht. Par un second tunnel abritant des petites centrales hydroélectriques, le trop-plein d'eau aurait été déversé dans le Lac de Zoug. L'idée principale de ce projet fluvial était naturellement le transport en transit vers l'Italie. Dans un port à Flüelen, la marchandise aurait été transbordée sur rail et passé le Gothard pour être re-transbordée, dans un port du Lac Majeur sur des bateaux italiens. A la veille de la 2e Guerre mondiale, on prévoyait un fret par cette voie d'environ 4 million de tonnes, dont 3 millions en transit, du charbon, surtout. Le Dr N. Jaquet, directeur de longue date de la Compagnie Suisse de Navigation à Bâle et conseiller national, écrivit dans une note commémorative : La liaison, par l'Aare avec le Lac de Quatre Cantons est techniquement faisable. Le point final de la navigation fluviale suisse, au sens de la politique de la route du Gothard est Flüelen. Si nous arrivons à amener le trafic nord-sud jusqu'à Flüelen et à transborder les marchandises sur des bateaux italiens en pensant au projet de canal Lombard, alors la Suisse sera dans une position de force quand au trafic transeuropéen nord-sud. 9. Navigation fluviale vers le Lac Majeur Déjà au moyen-âge, Michelangelo et d'autres visionnaires étudiaient des projets de voies fluviales dans la pleine du Pô. Apparemment, des petites unités atteignaient déjà le Lac Majeur par la rivière Ticino. Avant la 2ème guerre mondiale, plusieurs variantes furent étudiées en Italie pour relier la Mer Adriatique, par rivières et canaux, au Lac Majeur, en passant par Milan, le lac de Garde et celui de Côme. La Confédération fut aussi invitée à participer à l'élaboration de ces projets, surtout pour ce qui concernait la continuation du transit du Gothard. Dans un port de la plaine de Magadino, on aurait transbordé les marchandises sur des chalands pour continuation vers la Lombardie et les ports de l'Adriatique.
Le plan de canalisation dans la plaine du Pô Aujourd'hui, le Pô est navigable jusqu'à Crémone par des canaux et des lagunes et les péniches rallient les ports de Venise et Trieste sur l'Adriatique. Mais, à cause du très puissant lobby des transports routiers, le transport fluvial est devenu très insignifiant et sa capacité jamais vraiment mise à profit. 10. Remarques finales. Ainsi se terminèrent les rêves de navigation fluviale suisse. Ce qui paraissait sensé il y a 100 ou 150 ans dans le domaine du transport fluvial fut vite dépassé par les avances technologiques. Techniquement, ces projets étaient faisables mais .... la sacro-sainte rentabilité ruina à jamais ces magnifiques projets. Aujourd'hui, des chalands de 135 m de long, chargeant 3200-3300 tonnes de la mer du nord à Bâle, si le niveau du Rhin le permet, naturellement car des passages en aval de Karlsruhe et en amont de Coblence n'ont pas beaucoup de profondeur. Peut-être a-t-on aussi une peu négligé les exigences des modules barges poussées au lieu de remorquées. L'autre évidence est que, très vite, beaucoup d'argent aurait du être injecté pour ajuster les dimensions de nos canaux aux normes sans cesse renouvelées, comme la grandeurs des chalands, ou alors il fallait fermer la boutique. Si le réchauffement climatique persiste, il faudra aussi s'attendre à de plus fréquentes et plus longues périodes de sécheresse, donc de basses eaux, ce qui rendrait la rentabilité du trafic fluvial très aléatoire. Qui sait, aujourd'hui, si les projets de moyens de transport futuristes, comme ceux des trains-cargos souterrains à grande vitesse, ne seront pas moqués dans 100 ans ? SwissShips, HPS, Mai 2020. Traduction FG / PAR 24-05-2020 Sources : - ETH Lausanne „Transport Naturel par Voie d'eau“ de Pietro Caminada, Rom, 1907 |